Vision double : les stéréogrammes du Nouveau-Brunswick 1865-1880

Grâce aux découvertes scientifiques de la première moitié du XIXe siècle sur l'optique et la nature de la lumière, et à l'aide d'un appareil de projection approprié, le stéréogramme crée l'illusion de la profondeur et de la perspective. Ce surprenant effet de relief, qui est même dans certains cas plus frappant que celui procuré par la vue ordinaire, est fascinant. Pour l'obtenir, deux petites photos quasi identiques sont montées l'une à côté de l'autre et visionnées avec un appareil spécial, créant ainsi la perception de trois dimensions quand le cerveau fusionne en une seule image les images différentes vues par chaque oeil. Dès leur invention dans les années 1840, les stéréogrammes ont apporté à un public enthousiaste une nouvelle forme de divertissement.

La popularité des stéréogrammes a atteint son point culminant de 1865 à 1880. Pendant ces quinze années, les photographes et éditeurs ont produit des millions de ces vues photographiques. Au Nouveau-Brunswick, les stéréogrammes ont connu une popularité croissante dès leur introduction à la fin des années 1850. Une des premières annonces portant sur des stéréogrammes dans la province a paru dans le New Brunswick Reporter.

Placée par George Stacy, un photographe itinérant actif à Fredericton, l'annonce publiée dans le numéro du 17 juillet 1857 se lisait comme suit :

UNE NOUVEAUTÉ

EST ARRIVÉE À LA CHAMBRE D'AMBROTYPIE STACY'S,

DANS L'ÉDIFICE COY AU-DESSUS DU MAGASIN LEMONT

Quelques stéréoscopes ainsi qu'un arrivage important d'étuis et de cadres, ce qui fait de notre stock le plus grand et le plus select jamais offert ici. Le stéréoscope est l'une des plus merveilleuses découvertes récentes. Ceux qui n'en ont pas encore vu ne devraient pas manquer de profiter de la présente occasion. Mesdames et Messieurs, vous êtes respectueusement invités à venir en examiner des spécimens. [Traduction libre]

Les vues stéréoscopiques les plus populaires étaient celles importées d'Europe et des États-Unis, mais des photographes locaux produisaient néanmoins des scènes du Nouveau-Brunswick. En analysant et en plaçant les stéréogrammes existants de scènes provinciales dans une perspective plus juste, on peut mieux documenter le développement de certaines provinces et de certains centres urbains et avoir un aperçu des réalités sociales et des perceptions de ceux qui ont créé ces images. Dans la province, la photographie était presque exclusivement une entreprise commerciale. Mus par l'esprit d'entreprise typique du XIXe siècle, les photographes commerciaux croyaient que, pour survivre, il leur fallait élargir leur commerce et offrir des alternatives au portrait. Si l'invention de nouveaux procédés a permis de produire de grands nombres d'images à prix raisonnables, malheureusement pour les photographes, elle a aussi créé une situation où ils devaient compter sur le public pour acheter de plus en plus d'images. Les stéréogrammes leur ont permis d'accroître la production de leurs studios et d'offrir des articles rivalisant avec ceux de leurs concurrents. Comme nous le rappellent les fréquentes récessions économiques de l'époque, il fallait une extraordinaire perspicacité pour réussir en affaires, car l'industrie photographique était particulièrement sensible à la réduction de la clientèle pendant les périodes difficiles. En comblant les caprices du public, la variété des sujets que présentaient les stéréogrammes montre combien les photographes ont réussi à aiguiser le désir du public à connaître les événements historiques, politiques et naturels de leur époque. Ces stéréogrammes étaient, en fait, la première forme de photojournalisme et permettaient aux gens de comprendre leur pays et le monde de façon plus complète. Avec le recul, on peut maintenant considérer ces images, qui servaient principalement à divertir, comme un trésor d'informations authentiques permettant aux historiens d'aujourd'hui de vérifier bon nombre de faits concernant le développement de plusieurs villes ainsi que les activités et les intérêts des citoyens.

Le manque de documents originaux des studios et l'insuffisance des données biographiques sur les photographes ne permettent qu'une évaluation sommaire de l'évolution des stéréogrammes au Nouveau-Brunswick. Dans certains cas, des stéréogrammes étaient piratés; les étiquettes du studio d'un photographe du Nouveau-Brunswick étaient collées sur des stéréogrammes venant d'Angleterre ou des États-Unis. La pratique consistant à acheter les stéréogrammes de concurrents se retirant des affaires rend difficile l'attribution correcte de stéréogrammes non identifiés à un photographe particulier. Les images étaient assimilées au fond d'images du nouveau studio sous le nom de l'acheteur sans mention de leur provenance. Étant donné que Saint John comptait la plus forte concentration de photographes de la province, il s'ensuit que la plupart des stéréogrammes du Nouveau-Brunswick représentent des scènes de Saint John.

Dans une société non habituée au barrage d'images aujourd'hui tenu pour acquis, le stéréogramme a permis que la perception colle de plus près à la réalité. Là où il n'y avait auparavant qu'une documentation écrite au sujet d'un lieu ou d'un événement et parfois la représentation romancée ou inexacte d'un artiste, le stéréogramme a fourni une image bon marché et convaincante. Ces stéréogrammes offrent non seulement une documentation visuelle de l'histoire de la province avant 1880, mais aussi une occasion de comprendre comment le Nouveau-Brunswick était perçu et présenté au XIXe siècle.